Institutions de l'UE/Parlement européen

La controverse sans fin du siège unique

 

 

Avertissement : les opinions développées ci-dessous n’engagent que son auteur.

Le 24 octobre dernier, les députés européens, réunis en session ordinaire, se sont prononcés sur un amendement en faveur d’un siège unique du Parlement européen, de préférence à Bruxelles. Un vote sans appel puisque 518 députés ont soutenu la résolution contre seulement 149. La résolution n’a aucune valeur juridique dans la mesure où une modification des Traités est nécessaire, ce qui est du ressort des Etats-membres. Néanmoins, ce vote est une nouvelle illustration de la controverse sans fin qui existe à propos de l’implantation définitive du Parlement européen toujours partagé entre Bruxelles et Strasbourg et dans laquelle les partisans de la capitale alsacienne sont de moins en moins nombreux. En effet, selon Jean Quatremer, les députés italiens, espagnols et polonais qui jusqu’ici soutenaient Strasbourg, semblent finalement avoir rejoint la position des pro-Bruxelles, isolant encore un peu plus la France sur ce sujet qui plaide encore et toujours pour le maintien du Parlement en Alsace.

Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, le Parlement européen est partagé entre trois villes, Bruxelles (pour les commissions), Strasbourg (pour les séances plénières) et Luxembourg-Ville (pour le secrétariat général). Une situation inédite pour une institution démocratique et représentative des citoyens qui perdure depuis des décennies et qui irrite de plus en plus une part de plus en plus croissante de députés européens, désireux de mettre un terme à cette situation ubuesque. A ce titre, plusieurs tentatives furent menées pour remettre en cause la présence du Parlement à Strasbourg en soulignant notamment le manque d’attractivité de la capitale alsacienne notamment en termes d’accès face à Bruxelles, mieux appréciée et surtout bien mieux desservie.

Si la controverse n’est nouvelle en soi, elle prend une nouvelle ampleur dans la mesure où les partisans du maintien du Parlement à Strasbourg sont de moins en moins nombreux et se font de moins en moins entendre. En effet, nombreux sont ceux qui souhaitent désormais un rassemblement de l’ensemble des activités parlementaires à Bruxelles, exerçant encore un peu plus une pression sur le gouvernement français qui se retranche derrière les traités faisant de Strasbourg, le siège (officiel) du Parlement européen, et qui, par conséquent, fait une fin de non-recevoir.

La position française est compréhensible dans la mesure où Strasbourg, ville-frontière, symbolise la réconciliation et surtout la paix durable entre les Français et les Allemands. Les symboles ont évidemment un sens en politique et c’est en toute logique que les autorités françaises tout comme les députés européens français (toutes tendances confondues) soutiennent mordicus la capitale alsacienne et font tout pour respecter l’esprit et surtout les dispositions des textes communautaires. Certains vont même plus loin en proposant que Strasbourg reçoive ce fameux siège unique, prenant au mot les pro-Bruxelles qui militent en ce sens depuis des décennies. Toutefois, en se braquant sur ses dispositions, et en refusant tout dialogue avec les pro-Bruxelles (afin de parvenir à un compromis), la France risque de ternir son image et d’irriter ses partenaires ainsi que la plupart des députés européens, élus par les citoyens de l’UE (et défendant donc leurs intérêts). Comme le souligne si bien Anna Corazza-Blidt, député italo-suédoise, membre du PPE et citée par Jean Quatremer sur son blog : « cette situation créée du ressentiment contre la France et ce n’est pas sain ». Qui plus est, dans une Europe en voie de fédéralisation, il convient de rappeler que l’essentiel du pouvoir se trouve à Bruxelles et qu’il est de la responsabilité du Parlement, s’il veut peser davantage au sein du processus décisionnel européen, d’être aux premières loges, et non à l’écart. Rester en Alsace, serait contre-productif dans la mesure où c’est à Bruxelles que tout se décide et ce, depuis un bail.

Plusieurs alternatives ou solutions de rechange sont malgré tout proposées par les pro-Bruxelles, soucieux et conscients de la charge symbolique de Strasbourg comme la création d’une université européenne[1] ou bien encore le transfert de la Cour de justice européenne, faisant de la capitale alsacienne, la capitale européenne du droit (grâce à la présence de la Cour européenne des Droits de l’Homme). Autant de pistes intéressantes à envisager afin que Strasbourg et surtout la France ne se sente pas lésée si d’aventure on décidait à mettre un terme à cette controverse. Toujours est-il que les autorités françaises ne pourront jouer indéfiniment à ce jeu surtout si une majorité de plus en plus large de députés européens se prononce désormais pour Bruxelles, fragilisant encore un peu plus la position française (et des députés européens français), désormais soutenue que par les conservateurs allemands.

Aussi, la France a une nouvelle fois l’opportunité de prendre une décision courageuse en faveur de l’implantation définitive du Parlement européen à Bruxelles mettant fin à une controverse coûteuse en temps comme en argent[2]. Toutefois, un tel acte ne sera que possible que si on offre au gouvernement français une contrepartie juste mais surtout sérieuse.

Gilles Johnson


[1] A ce titre, un transfert, par exemple, du Collège d’Europe de Bruges à Strasbourg pourrait être une idée tout à fait défendable et envisageable.

[2] On estime à près de 220 millions d’euros par an le coût de la transhumance (c’est-à-dire le transfert des députés européens ainsi que des fonctionnaires et contractuels du Parlement) de Bruxelles à Strasbourg, chiffre avancé par les pro-Bruxelles et invérifiable cependant

18 réflexions sur “La controverse sans fin du siège unique

  1. Entre 51 et 220 millions il y a tout de même un gouffre ! De plus, proposer d’installer le collège de Bruges ou la Cour de justice à Strasbourg ne se fera pas sans compensation pour Bruges et Luxembourg. Car comme Strasbourg, elles ne souhaitent pas vois partir leurs institutions et dès lors on entre dans un jeu de chaises musicales sans fin.

  2. Halte à l’hypocrisie,
    Le seul argument qui a mon sens serait valable, porterait sur un véritable dysfonctionnement démocratique de l’UE du fait de la tri-localisation du PE. Ce qui aujourd’hui n’est vraiment pas le cas. Le PE joue a bon escient son rôle de contrôle démocratique et son poids dans le processus décisionnel n’a jamais été aussi important (cf ACTA…). Revenir indéfiniment sur des coût de la transhumance, que vous estimez fallacieusement à 220 millions d’€ alors qu’il est désormais prouvé que celui-ci avoisinerait 50 millions d’€ (cf rapport de l’AEJE), prouve votre mauvaise fois en la matière. Il y a malheureusement bien d’autres gabegies financières, entre autre le « fameux chèque britannique ». J’aimerais voir autant de Députés se mobiliser contre cette faveur faite au R-U qui n’a plus aucun fondement et qui dans le contexte de crise est d’autant plus « écoeurant ». Pourtant les anglais s’en accommodent très bien… (comme Edward Mc Millan-Scott et consorts…). Le confort des députés et de leurs assistants doit être pris en compte, mais ne doit pas constituer un critère du choix du siège unique. Le choix de Strasbourg repose bien entendu sur l’histoire, le symbole de la réconciliation franco-allemande, mais aussi sur un projet polycentriste de l’Europe et non centralisateur. Et comme l’a dit Jean-Pierre Audy, député européen, « s’il on veut une capitale fédérale de l’UE à Bruxelles qu’on le dise vraiment! » Dans ce cas, il faudra tout remettre sur la table et pas seulement le siège du PE…

  3. L’ Europe est en crise économique, écologique et démocratique. Le siège unique serait certes difficilement applicable dans un horizon proche. Nos politiques doivent se rendre compte de la défiance des citoyens envers l’ Europe et agir dans le sens du siège unique. Riseup.eu

    • Je n’estime en rien les 220 millions, je ne fais que rapporter ce chiffre qui, comme j’ai pris soin de le souligner, est invérifiable ! Merci de lire attentivement 😉

  4. Un siège unique à Bruxelles risquerait de renforcer l’impression d’une Europe centralisée, alors que justement, l’Europe promeut la diversité, les régions, etc. Les agences européennes sont réparties dans toute l’Europe sans que cela ne dérange personne.
    Après, bien sûr, il faudrait voir si Strasbourg a la capacité effective d’accueillir le Parlement Européen en permanence. Pour cela, il faut une politique urbaine et une politique de transports très active…

    • Le souci c’est que le gouvernement français (ni même les pouvoirs locaux région comme ville) n’a véritablement eu la volonté de rendre Strasbourg plus attractive et de renforcer sa capacité en matière d’infrastructures. Certes, la LGV entre Paris et l’Alsace est en cours d’achèvement et Strasbourg a de sérieux atouts.

      L’impression d’une Europe centralisée existe déjà d’une certaine façon quand on dit « Bruxelles » pour qualifier l’UE (même si cette expression désigne plus la Commission pour être juste). Quand on évoque Strasbourg, on pense moins à l’UE et vaguement au Parlement européen car les Français savent qu’il est en France. On devrait faire le test avec les autres européens, on aurait sans doute des surprises.

  5. Il me semble que ce sujet est essentiellement pragmatique ; il est évident que le législatif et l’exécutif doivent travailler de concert : Bruxelles est donc un choix plus raisonnable que Strasbourg ! Les traités peuvent être modifiés. Quand François Hollande s’indigne, il illustre très bien ce qui ne fonctionne pas en Europe, ce conseil où chacun défend ses intérêts nationaux… ce qui aurait tendance à nous mener droit dans le mur. Il ne s’agit pas de tout centraliser, mais d’être efficace : le Parlement européen, c’est la voix des citoyens et elle doit être entendue par la Commission. Je rêve d’une Europe où l’on défendra les intérêts de l’UE et pas ceux de la France ! Hélas, dans notre pays, je ne vois aucun homme politique qui ait l’envergure suffisante pour comprendre qu’il est temps de dépasser le niveau national étriqué pour penser l’Europe dans le monde !

    • Bonjour,
      Merci pour votre commentaire ! Nous rêvons nous aussi d’une « Europe où l’on défendra les intérêts de l’UE et pas ceux de la France ! », mais ne n’en sommes pas encore là malheureusement … Il faudrait penser beaucoup plus au « nous » européen plutôt qu’à un « nous »national.
      Amitiés européennes,
      Au Café de l’Europe

  6. Le seul argument qui a mon sens serait valable, porterait sur un véritable dysfonctionnement démocratique de l’UE du fait de la tri-localisation du Parlement européen (PE). Ce qui aujourd’hui n’est vraiment pas le cas. Le PE joue a bon escient son rôle de contrôle démocratique et son poids dans le processus décisionnel n’a jamais été aussi important (cf. ACTA…). Revenir indéfiniment sur les coûts de la transhumance, que vous estimez fallacieusement à 220 millions d’€ alors qu’il est désormais prouvé que celui-ci avoisinerait 50 millions d’€ (cf rapport de l’AEJE), prouve votre mauvaise foi en la matière. Il y a malheureusement d’autres gabegies, notamment le « fameux chèque britannique ». J’aimerais voir autant de Députés se mobiliser contre cette faveur faite au R-U qui dans le contexte de crise est totalement « révoltante ». Pourtant les Anglais s’en accommodent très bien… (comme Edward Mc Millan-Scott et consorts…). Le confort des députés et de leurs assistants doit être pris en compte mais ne doit pas constituer un critère du choix du siège unique. Le choix de Strasbourg repose bien entendu sur l’histoire, le symbole de la réconciliation franco-allemande, mais aussi sur un projet polycentriste de l’Europe et non centralisateur. Et comme l’a dit Jean-Pierre Audy, député européen : « s’il on veut une capitale fédérale de l’UE à Bruxelles qu’on le dise vraiment! » Dans ce cas, il faudra tout remettre sur la table et pas seulement le siège du PE…

    • Bonjour,
      Merci pour votre réponse ! Nous avons publié un avis sur le maintien du siège à Bruxelles, mais la prochaine publication portera sur un maintien du siège à Strasbourg pour rester neutre sur cette question.
      Bien cordialement,
      L’équipe de Au Café de l’Europe

  7. Je viens de lire un avis au moins original et au mieux intéressant, qui part du principe d’une Europe à deux vitesses assez particulière : Jaques Attali, dans « Deux parlements, deux Europes ».

    Petit résumé :
    1) Il y a deux Europes : celle des 27 et celle de l’Eurozone.
    2) Laisser la Commission et le PE des 27 s’occuper de l’Eurozone des 17 limite l’action des 17.
    3) Il faut donc distinguer les institutions de ces deux Europes et surtout les parlements.
    4) Il y a un parlement à Bruxelles : utilisons-le pour les 27.
    5) Il y a un parlement à Strasbourg : utilisons-le pour les 17.
    6) Le Parlement de l’Eurozone serait formé des parlementaires élus au PE venant des 17. Il exercerait les compétences nécessaires à l’Eurozone, auditionnerait le président de la BCE, nommerait et pourrait renvoyer le président de l’Eurogroupe, contrôlerait le MES et la surveillance bancaire, gèrerait la coordination budgétaire et fiscale et, ultérieurement, lèverait la taxe sur les transactions financières, au bénéfice d’un Trésor européen en charge d’émettre des euros bonds, qui financeraient des investissements de croissance.

    Bref, tout un programme, à partir d’une réflexion sur le siège du PE.
    L’article en question : http://blogs.lexpress.fr/attali/2012/10/22/deux-europes-deux-parlements/

    • Bonjour,
      Vous pouvez en discuter avec l’auteur de l’article. Comme mentionné en tout début d’article, son opinion ne reflète pas la position du blog. Mais il faut bien que chacun puisse s’exprimer et défendre son point de vue !
      Bonne journée,
      Amitiés européennes,
      Au Café de l’Europe

    • @ Mainard :

      Au risque de le répéter, il ne s’agit de que mon point de vue et non celui de l’ensemble de la rédaction, comme j’ai pris soin de le souligner en début d’article ! Je vous précise également que je ne fais aucun lobbyisme (d’ailleurs personne ne me paye pour défendre les intérêts de Bruxelles). Je suis juste un fédéraliste qui considère que l’UE doit avoir les moyens de son ambition et que le Parlement mérite d’être en permanence à Bruxelles car c’est là où tout se passe. Qui plus est, un refus ferme de la France ne fait que braquer davantage nos partenaires !

      Bien cordialement…

  8. Pingback: Les Clés de l’UE : le Parlement européen décrypté ! | Au Café de l'Europe

  9. quoi que vous disiez, ce sujet est sur la table depuis plus de 25 ans et il faudrait l’unanimité pour changer et faire partir le PE de Strasbourg donc…on en reparle dans 25 ans;-)

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